Interview de Laurent Fery

Vous vous annoncez comme ayant travaillé pendant 5 ans comme unique programmateur musical à NRJ ?

A tout juste 18 ans, j'y suis entré en Avril 1985. Je m'occupais déjà de régler tous les problèmes inhérents à la  programmation et à la rotation des titres. On dit souvent que les choses qui paraissent les plus simples requièrent un travail soutenu. Pour établir une programmation, il faut définir des horloges dans lesquelles vous insérerez les catégories des titres que vous souhaitez diffuser. Ceci vous donnera un certain nombre d'appels à catégorie par jour, la rotation par jour étant obtenue en divisant le nombre d'appels à catégorie par la rotation souhaitée. Exemple : 80 positions d'une catégorie par jour, vous souhaitez qu'elle passe 4 fois  par jour, il faudra donc 20 disques dans la catégorie. J'avais même mis au point sur mon ordinateur personnel, un modèle qui évitait la répétition d'une même séquence pendant 3 semaines. (cf. Article "20 Ans" mars 1988).

Comment réalise-t-on une compilation ?

Le marché discographique fonctionne de la façon suivante : par exemple, un producteur italien crée une oeuvre, il devient détenteur de l'oeuvre  pour le monde entier. Il exploitera le titre sur son propre territoire,  comme il n'a pas de bureaux en France, il va chercher un partenaire auquel il donnera une licence d'exploitation exclusive généralement de 3 ans. Une fois cette licence exclusive obtenue, le représentant français sera le seul à pouvoir exploiter l'oeuvre sur le territoire français, le seul qui pourra donner ou refuser l'autorisation à une autre maison de disques d'inclure le titre dans une compilation tierce, parfois sans même avoir à demander l'accord au producteur original.
 

Vous parlez de TOP DJ comme d'une réussite de programmation musicale, mais n'est-il pas plus facile de faire la programmation musicale d'une compilation puisqu'il n'y a pas de quota de Français à respecter contrairement à la radio ?

Il y a déjà deux choses à noter, dans le cas d'une compilation l'auditeur  paiera 20 € pour pouvoir écouter le programme, dans l'autre cas il a juste à ouvrir la radio pour écouter son  programme gratuitement.

C'est une affaire de point de vue, la compilation idéale existe sur le papier, dans la réalité c'est tout autre chose. Pour inclure un titre dans une compilation il faut obtenir la  licence non exclusive. Chaque maison de disques réalise ses propres compilations en essayant de garder au maximum les gros tubes dont elle dispose pour ses propres projets. Afin d'obtenir d'autres succès, elles échangent des titres entre elles. Concrètement, sur une compilation de 22 titres, il pourra y avoir 12 gros succès toutes maisons confondues, il restera ensuite 10 positions non programmées à remplir par des titres maisons. Voilà pourquoi la problématique me semble très proche entre une compilation payante et un programme radiophonique gratuit.

Enfin pour TOP DJ nous avions un concurrent leader déjà en place qui réalisait 280 000 ventes, notre objectif était de se rapprocher le plus possible de ce chiffre. Dès le premier volume, nous avons dépassé le leader et sommes devenus nous-mêmes le leader avec 380.000 ventes. Pour toutes ces raisons, j'estime cette réalisation comme une des grosses réussites pour laquelle j'ai assuré la production exécutive et la programmation musicale comme le mentionne la pochette de cette compilation.

Est-ce aussi facile de développer les revenus d'une web-radio ? Radio13.net

Contrairement à une radio hertzienne, le coût de diffusion par Internet augmente proportionnellement avec votre auditoire. Voilà pourquoi tout en ayant été classé 8 mois après sa création et son lancement  8ème radio sur Internet, sondage Measurecast/Arbitron, après 20 millions de visites, 8.000.000 de visiteurs uniques, une moyenne de 650.000 pages vues par mois, cette web radio a du cesser son activité à cause de son succès, n'ayant pas trouvé les recettes publicitaires en mesure de couvrir sa diffusion. Il est vrai que dans cette nouvelle aventure j'avais accepté une contrainte supplémentaire, plus il y avait d'auditeurs, plus cela coûtait cher, plus les recettes publicitaires devaient être conséquentes. Tout détenteur d'une radio hertzienne  serait enchanté de générer un tel auditoire en partant de rien, et sans un sou de marketing si ce n'est quelques cartes de visite en couleurs, son coût de diffusion reste  identique quand son auditoire augmente.

Voilà pourquoi fort de ces trois expériences qui ont été trois succès, je suis convaincu de pouvoir contribuer au développement de l'auditoire d'une radio hertzienne.

Que représente la programmation musicale ?

C'est la succession de titres la plus harmonieuse possible par rapport à une cible ou à une problématique donnée. Certaines radios s'interrogent parfois car elles viennent de perdre une catégorie de leur auditoire, c'est normal, la perception d'un même titre peut être très différente entre un homme et une femme.

Précédemment, les  play-list des radios étaient plus grandes, ce qui incitait parfois à passer un titre dont on n'était pas tout à fait sûr, ce qui l'un dans l'autre se compensait  par l'avantage de révéler un succès là où on ne l'attendait pas.
Le téléphone portable ne monopolisait pas un minimum de 30 € dans le budget loisirs,  le téléchargement n'était pas développé, le public achetait plus de disques. Certaines radios en  position de challengers se sont mises à réduire le nombre de nouveautés différentes diffusées à l'antenne, afin de coller au mieux à la niche qu'elles souhaitaient  atteindre. A l'heure du marketing, de l'étude, des enquêtes, la réduction des titres limite l'émergence de nouveaux succès et peut dans certains cas  faire prendre un risque démesuré, imaginez de passer 10 fois par  jour un titre qui fasse zapper toute une partie de votre auditoire. ! Une certaine dose de risque est cependant nécessaire, toutes les success stories se sont développées avec une prise de risque plus ou moins grande, mais certaine.

La programmation musicale peut contribuer grandement à l'envie de réécouter une radio et d'en faire sa station favorite.

Certains font des mots croisés ou du sudoku, je préfère enrichir ma base de données musicales, me permettant de mémoriser les références des titres qui peuvent s'insérer dans divers formats.